Ses études musicales débutent avec le piano à l’age de sept ans.
La demi-heure quotidienne, le midi, avant de repartir à l’école, se voit rapidement augmentée d’improvisations.
« Je passais autant de temps à improviser qu’à travailler mes morceaux. Dès l’adolescence le piano est devenu mon confident, recevant tous mes états d’âme ».
Alors que ses études se poursuivent à Paris, il aborde successivement l’orgue puis le clavecin, complétant par des cursus de musicologie et musicothérapie.
La facture d’orgue le passionne et, en 1988, l’acquisition d’un instrument lui donne l’occasion de se lancer dans un projet d’envergure: installer en plein cœur de Paris un orgue de 22 jeux.
Son parcours lui fait rencontrer des personnalités aussi fortes que variées: Robert Camus, Odile Bailleux, Pierre Vidal, Jean Haury, Isabelle Aboulker …
En 1993, il s’attache à un deuxième projet d’orgue, en demi-registres.
A l’issue de cette réalisation ses pas le mènent vers le sud, où il jette les bases d’un centre de musique ancienne dans un prieuré de l’Hérault.
En 1995, la rencontre avec le musicologue et collectionneur Michael Thomas, dont il sera le dernier élève, lui permet d’approcher les instruments historiques; il expose et anime la collection de ce dernier au musée de Pézenas, se familiarisant avec le pianoforte et le clavicorde.
Il anime d’autres lieux prestigieux (abbaye de Cassan), associant concerts, enseignement et poste d’organiste.
Son déplacement dans l’Aveyron lui donne l’opportunité de devenir titulaire des orgues de l’abbaye de Sylvanès, de 2002 à 2005. Partenaire du festival, il participe aux messes radiodiffusées.
Durant toutes ces années il ne cesse de nourrir son regard du contact avec la nature, explorant le patrimoine, se laissant interroger par les matériaux nobles que sont le bois, la pierre.
« J’aurai pu être ébéniste ou tailleur de pierre, tant la fréquentation de la matière me passionne ».
Au fil du temps c’est ainsi toute une production plastique, photographique ou de création de mobilier qui voit le jour.
« On ne devient pas artiste, on nait ainsi, habité par un certain regard que l’on porte sur tout ce qui vibre. Un regard qui transforme parce qu’il met en mouvement, en devenir qui ouvre sur un avenir.
Mais la liberté de l’artiste, c’est aussi sa responsabilité, car il doit savoir précisément quel type de regard l’habite, donc à quoi il se sent, se sait relié. Ce regard, c’est un sceau qui oriente toute votre vie, à chacun d’assumer ce qu’il induit: les difficultés, les tensions ou l’incompréhension ».
S’interrogeant sur sa mission, celle-ci lui est révélée: « Je renouvelle la joie de la création divine ».
Vaste programme, qui déborde effectivement du cadre strictement musical, et qu’il lui faut intégrer dans son nom, en tant que serviteur: conjuguer et articuler absolu, amour et humilité …
« Si la mission de l’artiste est authentique, je l’assimile à celle du saint, comme du martyr, dans son sens étymologique, celui de témoin ».
Épris d’absolu, de liberté, fait de renoncements, travaillé d’explorations intérieures, le chemin artistique est une voie qui ne peut être que spirituelle, beauté et vérité fusionnant alors.
« L’artiste est un mystique, traversé par l’amour qu’il a nourri au dedans de lui et qu’il donne sans compter, jusqu’à devenir exsangue. Souvent, c’est la mort seule qui arrête son cheminement.
Il suffit de regarder la destinée des artistes au fil des siècles.
Ne comptant ni son temps ni sa peine, n’attendant ni compréhension ni gloire, l’artiste est incontestablement un crucifié, dans le sens où il est volontaire pour se poser à la croisée de forces horizontales et verticales. Il est le plus souvent conscient de sa mission qu’il assume avec responsabilité, dignité».
Alexandre Theodoulides enseigne les claviers depuis l’âge de seize ans.
« Mon enseignement se distingue nettement de celui que j’ai reçu: étudier une œuvre ne se résume pas à des considérations techniques ou stylistiques; je parle beaucoup, faisant intervenir des domaines éloignés de la musique. Il s’agit pour moi d’ouvrir des portes, de relier aussi, de donner un sens, créer une unité. La musique est un monde. Sans fin ».
André Gence résume bien ce que cherchent à vivre un certain nombre d’artistes aujourd’hui; je le cite: « L’artiste crève la surface des choses pour découvrir ce qu’il y a dedans. Une société sans art est désorientée. L’art n’est pas un supplément d’âme ou une superstructure; il ne décore pas la vie, il l’explore et l’exprime. Il ne fait pas savoir, il montre. Il ne délivre pas un message, il nous éveille à la conscience de notre humanité et nous met en mouvement vers ce que nous espérons devenir.
Il spiritualise et, en poétisant, il rend la terre habitable ».
(photos copyright David Rosenfeld)
« Un chemin artistique est rarement linéaire. C’est ainsi que, pour ma part, la rencontre avec le musicologue Michael Thomas et sa collection d’instruments historiques a ouvert la voie à un questionnement sur le son, ses caractéristiques, leur évolution dans le temps au travers de l’évolution de la facture instrumentale. Certains musiciens ont à coeur de partir à la recherche de leur « musique intérieure » . Mon itinéraire est alors apparu double : sur le plan de l’interprétation et celui de la composition.
Au contact de l’orgue, du clavecin, du clavicorde, du pianoforte, j’ai expérimenté des paramètres spécifiques . L’acquisition d’un Erard de la fin du XIXè siècle a, par la suite, orienté mon travail sur l’adéquation entre les oeuvres et les instruments qui leur sont contemporains. A l’image des violonistes qui trouvent « leur violon », j’ai ainsi trouvé « mon piano », un instrument vivant, inspirant, où mon oreille et mon toucher trouvent leur correspondance.
La composition est pour beaucoup – sans doute aussi pour moi – un mystère. Parce qu’elle est liée à l’inspiration, et que l’inspiration ne s’explique pas. Si ce n’est, peut-être, par un lent travail intérieur de mise à disposition de capacités affinées avec le temps. C’est alors une totale obeissance à ce qui vient, à ce qui descend, en étant parfois même spectateur.
Mon écriture demeure attachée à la notion de tonalité, voire de modalité. Parce que pour moi la musique est un monde en couleurs, les couleurs étant elles-mêmes en lien avec des affects. Ceci était déjà une évidence pour les anciens. Les compositeurs « classiques » n’ont jamais utlilisé les tonalités au hasard. J’aime à travailler comme un peintre : les accords sont autant de couleurs posées sur une palette, où ils vont attirer à eux d’autres accords ou groupes de notes (les notes qui s’aiment dont parlait Mozart). L’utilisation privilégiée de certains intervalles – pour ma part la quarte, la quinte et la neuvième – constitue elle même un reflet « psychologique » d’un auteur. Bien des fois mes doigts posent sur le clavier une « couleur » qui porte en elle un devenir, multiforme, parce que la musique est infinie. Je m’émerveille de voir que ce que j’écris ne l’a jamais été avant moi, et … ne peut l’être que par moi … ou chacun de nous.
Mes compositions sont, pour la plupart, des pièces courtes, fonctionnant comme des instantanés qui captent une vibration fugitive et qui ne se reproduit jamais à l’identique. Ainsi, il m’est arrivé d’écrire dans la même demie journée, une pièce en sol majeur (tonalité associée à la gaieté, la joie de vivre, avec un caractère agréable, enfantin), puis une pièce en ré mineur (tonalité hivernale, nostalgique, où vie et mort s’opposent).
J’expérimente au fil de l’écriture les richesses du chromatisme. Ce n’est sans doute pas un hasard, puisque chroma, en grec, signifie la couleur… couleur que j’ai retrouvée dans la musique si particulière de Mompou, un compositeur épris lui aussi du silence, de la brièveté, du piano… Nous prenons un nouveau départ, écrit-il, et la route est longue … ma contribution ne peut, en l’occurrence, qu’être de positionner la première pierre, cette pierre qui est la conjonction de la solennité et de l’humilité. Je veux simplement que ma pierre soit présente dans la construction de la cathédrale du futur … puisse ma musique trouver modestement place dans cet édifice … »
A.T.
Alexandre Theodoulides est à l’origine des Journées Erard, premier festival consacré au grand facteur de piano français. La première édition voit le jour en 2015 dans le Lot. Des pianos de 1852 ou 1904 reprennent le chemin du concert pour faire entendre des sonorités oubliées.
« Les artistes sont parmi les plus persévérantes et courageuses de la terre. En une seule année, ils doivent subir, jour après jour, plus de rejets que la plupart des gens en une vie toute entière. Chaque jour les artistes doivent affronter le risque économique d’une vie professionnelle menée en solitaire, ils doivent faire face à tous ceux qui ne respectent pas leur choix de vie et qui leur reprochent de ne pas faire un vrai travail … ils sont aussi confrontés à leur propre peur de ne plus trouver de travail. Chaque jour ils doivent étouffer la petite voix qui leur dit que la direction qu’ils ont choisie pour leur vie n’est peut être qu’une chimère. A chacune de leur prestations artistiques, ils se mettent en danger, émotionnellement et physiquement, prenant le risque des critiques et des jugements. Et chaque année qui passe, la plupart d’entre eux voit les autres, ceux de leur âge, franchir les étapes convenues d’une vie normale : la voiture, la famille, la maison, l’épargne … Pourquoi tout ceci ? parce que les artistes n’ont qu’un désir : dédier leur vie toute entière à l’éclosion d’un seul moment, celui qui verra telle attitude, tel rire, tel geste ou telle interprétation atteindre le public en plein coeur. L’artiste est un être qui, un jour a goûté au nectar même de la vie lorsqu’en un instant lumineux, il a touché l’âme d’une personne ou d’un public en lui offrant le meilleur de sa créativité artistique. En cet instant, l’artiste s’est trouvé plus près de la magie, ou de Dieu ou de la perfection qu’un homme le puisse être. Et au fond de son coeur est ancrée l’intime conviction que se vouer tout entier à un tel moment, même unique, vaut plus de mille vies … » David Ackert (traduction libre Marie Ange Pector)